jeudi 11 novembre 2021

11 novembre 2021 - Peut-on disserter sur l'Eglise en ignorant le Christ?

Peut-on disserter sur l’Église en ignorant le Christ ?
Jean Duchesne – publié sur Aleteia le 10/11/21
 
Tous les mardis, Jean Duchesne décode les grands événements du monde et de l’Église. Tandis que les projets de réforme au sein de l’Église de France suscitent de nombreux commentaires, il s’interroge : parler de l’Église en mettant prudemment Dieu entre parenthèses, n’est-ce pas dissimuler une part décisive de la vérité ? L’avenir du christianisme ne dépend pas uniquement de son image médiatique.
 
Par les temps qui courent, on disserte d’abondance sur l’Église, pour expliquer qu’elle va mal et prédire son naufrage dans une marginalité insignifiante. Les abus sexuels commis par des prêtres sont déclarés massifs et « systémiques », ce qui permet de dénoncer ouvertement le cléricalisme et indirectement la structure épiscopale et en fait apostolique de l’institution, donc la source même de son existence. Certains experts ne lui voient de chances de survie que dans une « synodalité » conçue comme un système de démocratie directe en régime d’assemblée, où la parole qui s’impose exerce un pouvoir absolu.
 
Qu’il soit cependant non moins permis de se demander s’il est adéquat de poser le problème en termes politiques de pouvoir. L’Église n’est pas une société ou institution ordinaire, comme peut l’être une nation, un parti de gouvernement ou d’opposition, une entreprise, un syndicat ou même une association à but non lucratif. Elle n’a pas sa propre fin en elle-même. Comme servante qui en a reçu la mission, elle ne fait que relayer l’offre de Dieu : le reconnaître comme Père, devenir ses enfants et avoir part à sa vie, laquelle consiste non pas à prendre, mais au contraire à donner et même à se donner inconditionnellement — à vue humaine au risque de se perdre —, mais dans la pleine liberté de l’être.
 
Une institution purement humaine ?
 
La puissance paradoxale qui se révèle et se livre ainsi ne peut pas être dominatrice. Elle est, à l’inverse, libératrice. Et, puisqu’il faut la transmettre pour la recevoir soi-même, la proposer requiert qu’elle soit non seulement annoncée, mais encore confirmée concrètement par le comportement de ses hérauts et témoins, qui sont la partie visible de ce qu’on appelle l’Église. Bien sûr, son message peut constamment être faussé et dénaturé, car la liberté qu’il confère reste soumise à toutes sortes de tentations d’appropriation et de pouvoir sur les autres. Les abus plus ou moins flagrants de quelques-uns de ses membres peuvent sensiblement éroder son audience en scandalisant, c’est-à-dire en faisant trébucher dans la foi. Mais ces détournements ne suffiront jamais à décourager Dieu d’offrir part à sa vie.
 
Que des observateurs extérieurs s’intéressent uniquement à ce que peuvent traiter leurs outils d’analyse, c’est compréhensible. Ce qui l’est moins, c’est que, de l’intérieur, des baptisés se proclamant tels (voire des prêtres !) se contentent des mêmes critères pour évaluer les chances de survie du christianisme, comme si son avenir dépendait exclusivement de son image médiatique ou de son inculturation. C’est là faire de l’Église une institution purement humaine et sans raison d’être autre qu’accidentelle. Si son but n’est que d’exercer sinon du pouvoir, au moins quelque influence, ou simplement d’en garder, ses membres ne comptent plus (bien présomptueusement) que sur leurs propres vertus. Et s’ils veulent seulement se faire accepter, ils se soumettent passivement par avance aux normes sociales du moment.
 
Quand le péché aggrave le crime
 
Parler de l’Église en mettant prudemment Dieu entre parenthèses, sous prétexte que son existence n’est pas évidente pour tout le monde, c’est donc, d’une certaine façon, dissimuler la part décisive de la vérité. C’est un peu comme si on dissertait sur le football en ignorant délibérément qu’il s’agit d’un jeu de ballon avec des règles et en réduisant le phénomène à son impact socio-économique. Qu’on n’aille pas s’imaginer que « théologiser » les réactions aux abus commis par des clercs revient à relativiser ces crimes. La référence à ce qu’ils trahissent, les fait au contraire ressortir comme des abominations où, à la faute gravissime que réprouvent les lois de la morale « naturelle » et que sanctionne la justice humaine, s’ajoute le péché caractérisé de se servir de Dieu au lieu de le servir en servant son prochain.
 
Allons plus loin et soyons plus précis en nous demandant quel rapport tout cela peut avoir avec le Christ — celui qui nous montre le Père (Jn 14, 7-9). Il a dit : « Ce que vous avez fait (par des égoïsmes et aveuglements en tout genre) ou pas fait (par manque de compassion) à ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ou pas fait » (Mt 25, 40 et 45). C’est pourquoi, en tant que « membres du Corps du Christ, chacun pour sa part » (Rm 12, 5), tous les chrétiens sont — ou devraient se sentir —, même s’ils n’ont commis aucune abomination et n’ont pas d’indifférence à se reprocher, personnellement blessés en découvrant les ignominies perpétrées par inversion de la mission reçue en jouissance cynique.
 
Sans le Christ, que reste-t-il de l’Église ?
 
Ce qui reste alors à faire n’est pas de se substituer aux successeurs des apôtres auxquels il revient de prendre les mesures propres à prévenir et réparer le mal autant qu’il est possible. Il ne peut être non plus question de faire profil bas en attendant d’hypothétiques jours meilleurs, et encore moins de désespérer en se résignant à une marginalité présumée irréversible. Mais c’est du Christ qu’il faut encore et toujours se rapprocher, lui qui est « en agonie jusqu’à la fin des temps », comme l’a écrit Blaise Pascal, et pourtant déjà ressuscité. En un mot, le christianisme ne survit pas sans le Christ, et l’avenir de l’Église qui est son Corps (Éph 1, 22-23) ne passe vraisemblablement pas par la mise en œuvre des recommandations des uns ou des autres, mais par une perception sans cesse à renouveler des véritables enjeux.
 
Ce recentrage perpétuel s’opère pour les croyants dans la fréquentation de la Parole de Dieu et des sacrements, dans la prière quotidienne et dans l’exercice assidu de la charité. Mais les autres ont aussi intérêt, qu’ils veuillent plutôt du bien ou plutôt du mal à l’Église, à se renseigner sur le Christ pour ne pas s’embourber dans des épiphénomènes. À tous ceux qui se soucient un peu de ce qu’est au fond la réalité de l’institution sur laquelle on disserte à l’envi dans l’actualité, on peut ainsi conseiller le Jésus de Nazareth, roi des Juifs de Roland Hureaux, paru cet automne chez Desclée De Brouwer.
 
Tout ce qu’il vaut mieux savoir sur Jésus
 
L’auteur, normalien, historien et énarque, passe systématiquement en revue toutes les sources sur ce qui est su du Christ — dans le christianisme, bien sûr, mais aussi grâce aux documents juifs et païens. La lecture transversale des évangiles permet de cerner la personnalité de Jésus telle qu’elle a été perçue par ses contemporains et de synthétiser les contenus de sa prédication. Le défi des miracles qui heurtent la rationalité contemporaine n’est pas esquivé, de même que sont affrontées les questions des discordances entre les témoignages, des relations de Jésus avec les femmes et avec les pharisiens, ainsi que de l’organisation qu’il donne à la troupe de ses disciples. L’étude des vives tensions au sein du milieu permet d’identifier les mécanismes qui aboutissent à l’exécution du « roi des Juifs ».
 
Tout cela sans parti-pris apologétique (y compris à propos des récits du matin de Pâques), et simplement en présentant de façon ordonnée toutes les informations disponibles. Sans doute existe-t-il, sur tous les médias possibles, quantité d’autres ensembles accessibles de données au sujet de Jésus. Mais cette somme-là a le mérite de fournir, sans qu’il soit besoin d’un acte de foi et d’allégeance, tout ce qu’il vaut mieux savoir du Christ quand on parle de l’Église qui n’existe que par lui et que nul ne peut ni s’approprier ni supprimer.
 
 
Jésus de Nazareth, roi des Juifs
par Roland Hureaux, Desclée de Brouwer, septembre 2021.

lundi 8 novembre 2021

08 novembre 2021 - Napoléon Saint, l'Empereur au Paradis

Napoléon Saint, L’Empereur au Paradis

En 1806, le pape réunit quelques cardinaux au sujet d’une question brûlante : saint Napoléon a-t-il existé ? À quelle date doit-il être célébré ? L’Église doit-elle prier et faire prier pour lui ?

Car dans l’Empire des Français récemment proclamé, les évêques appellent les fidèles à célébrer une nouvelle fête, la Saint-Napoléon, le 15 août, le jour de la naissance de l’Empereur et de la fête de l’Assomption.

En imposant un nouveau saint dans le calendrier, en l’offrant à la vénération des citoyens, l’État affirme sa sacralité à travers le corps glorieux du souverain. Ce faisant, saint Napoléon est aussi l’objet d’appropriations partisanes et provoque des oppositions religieuses.

Ce livre, fondé sur des archives inédites, pose sous un angle nouveau le rapport entre État et Église dans la France d’après la Révolution et constitue une contribution originale à l’analyse de l’imaginaire politique national.

Vincent Petit, docteur en histoire contemporaine (Paris-Sorbonne/Fribourg), est spécialiste d’histoire religieuse et politique du XIXème siècle. Il a publié un essai intitulé Eglise et Nation. La question liturgique en France au XIXème siècle en 2010, et plus récemment en 2019, Effacer la révolution, Vie et mort des prêtres constitutionnels francs-comtois.

Dédicace la Vendredi 19 Novembre 2021,
de 16h00 à 18h00

18 rue Mégevand,
25000 Besançon



jeudi 4 novembre 2021

04 novembre 2021 - Saint Charles Borromée

Saint Charles Borromée, le cardinal qui soignait les malades de la peste
Thérèse Puppinck - Aleteia
 
 
© Leemage via AFP
 
En 1576, alors que la ville de Milan est ravagée par la peste, saint Charles Borromée, célébré par l'Église ce 4 novembre, fait preuve d'un dévouement extraordinaire auprès des malades et mène des actions rapides pour limiter la propagation du mal.
Saint Charles Borromée est un des grands prélats italiens du XVIe siècle. Il est connu pour sa participation active au concile de Trente, notamment dans la rédaction du célèbre catéchisme appelé aujourd’hui catéchisme du concile de Trente. Dans son diocèse de Milan, saint Charles eut à cœur de faire appliquer la réforme catholique issue du concile dans un esprit de charitable pédagogie. Toutefois, les Milanais se souviennent davantage de son action énergique et spectaculaire lors de la terrible peste qui ravagea la ville durant les derniers mois de l’année 1576.
 
Dès le début de la propagation de cette redoutable maladie, que la médecine de l’époque ne sait pas soigner, l’évêque propose son assistance aux autorités civiles, et il conseille le gouverneur pour mettre en place les premières mesures prophylactiques destinées à limiter la propagation du mal. Immédiatement, on décide la fermeture des portes de la ville afin d’empêcher l’arrivée de nouveaux pestiférés, car la maladie vient des villes environnantes. Autre mesure élémentaire pour restreindre la contagion : séparer les malades des biens portants. Ainsi, à la moindre suspicion de peste, les habitants sont envoyés au lazaret. Mais rapidement, celui-ci ne suffit pas, et les autorités organisent la construction, en dehors de la ville, de plusieurs centaines de cabanes pour recevoir les malades.
 
De la santé du corps à la santé de l’âme
 
Saint Charles ne conçoit pas de laisser les pesteux et les mourants sans réconfort. Il sait combien le soutien affectif, et surtout spirituel, est fondamental en période d’épidémie. La santé de l’âme est plus importante que celle du corps, estime le pieux évêque. A quoi bon soulager le corps si l’âme est malade ? Il décide alors d’aller tous les jours visiter les pestiférés pour les réconforter, les confesser et leur donner la sainte communion. Son courage et son élan de générosité entraînent d’autres prêtres et religieux. Progressivement, ces ecclésiastiques viennent à leur tour apporter les secours de la religion aux malades, qui, sans eux, seraient dans une profonde solitude et une profonde détresse.
 
L’acceptation du risque de la maladie par amour de Dieu et des âmes n’empêche pas l’évêque de Milan de suivre les recommandations médicales pour se protéger et empêcher la contagion. Ainsi, Charles désinfecte toujours ses vêtements au vinaigre, et il refuse désormais de se faire servir, ne souhaitant pas exposer les serviteurs du palais épiscopal. Comme il risque chaque jour d’être infecté, il se promène avec une longue baguette qui lui permet de maintenir une distance de sécurité quand il rencontre des biens portants. Il préconise les mêmes mesures préventives à tous ceux qui approchent les pestiférés. Mais plus que tous les moyens terrestres, Mgr Charles Borromée s’abandonne totalement à la volonté de son Père céleste. Il encourage les prêtres à conserver une âme à la fois ardente, entièrement dévouée à leur ministère, et tranquille, pleinement confiante en Dieu. Force est de constater que sa confiance ne fut pas vaine, puisque, malgré une exposition quasi journalière à la maladie, Charles ne fut pas atteint par la peste.
 
Un confinement strict
 
Au mois d’octobre, quelques semaines après le début de l’épidémie, les autorités civiles publient un édit de quarantaine : interdiction est faite à tous les habitants de sortir de leur demeure, sous peine de mort. L’isolement profond entraîné par ce confinement, la crainte du mal toujours menaçant, la préoccupation du sort des parents et des amis, les premières atteintes de la maladie, tout contribue à aggraver encore plus la détresse des Milanais. Leur pasteur sent combien cette situation est douloureuse pour le cœur, mais aussi dangereuse pour l’âme. Il décide de réagir en conséquence et commence par prévenir la municipalité que ses prêtres ne vont pas respecter la quarantaine. Le gouverneur, qui a déserté la ville quelques jours après le début de l’épidémie pour se réfugier à la campagne, se retrouve impuissant face à la détermination de Charles. De plus, il comprend les bienfaits d’une présence spirituelle pour maintenir la santé morale des habitants. L’évêque répartit ensuite les équipes sacerdotales entre le ministère des pestiférés et le ministère des confinés, et il cherche les moyens de transmettre aux fidèles les grâces sacramentelles malgré le confinement.
 
Tout d’abord, saint Charles incite les habitants à une prière plus fréquente et plus intense, en leur proposant des lectures spirituelles et la récitation des litanies. Puis il fait sonner les cloches de la ville sept fois par jour, afin d’inviter les habitants à se recueillir tous ensemble au même moment. Des prêtres déambulent dans les rues en priant à voix haute, et les fidèles, de leurs fenêtres, leur donnent la réplique. Quand ils souhaitent se confesser, ils appellent le prêtre qui les confesse alors sur le pas de la porte. Enfin, Charles fait construire à travers la ville dix-neuf colonnes surmontée d’une croix. Un autel est installé au pied de chacune d’elle, et la messe y est célébrée tous les jours. Postés à leurs fenêtres, les habitants peuvent se tourner vers les croix dressées dans le ciel, et prendre ainsi part aux messes. Les prêtres portent ensuite la communion aux fidèles, à travers les fenêtres ou sur le pas des portes. La quarantaine est partiellement levée à la fin du mois de décembre et la peste quitte progressivement la ville durant les mois suivants.
 
Charles Borromée mourut en 1584 ; il fut canonisé dès 1610. Son action à Milan contribua à la reconnaissance de l’héroïcité de ses vertus. Pendant ces semaines éprouvantes d’épidémie, saint Charles n’hésita pas à bousculer les règlements et les conventions sociales, et il eut le courage de risquer sa vie, par amour du Christ et des âmes. Son dévouement auprès des prêtres et des fidèles de son diocèse lors cette épidémie lui a valu d’être déclaré saint patron des évêques.